Retour sur le thème philosophique de ce dimanche : Yoga asanas, travail sur le corps.
Un paradoxe veut que, pour atteindre une conscience libre du corps physique, on consacre son temps, son énergie et son attention à un travail sur ce corps. Les textes traditionnels hindous ou bouddhistes affirment qu'il est possible à l'homme, dans cette vie, de réaliser un état de conscience absolument libre de cette forme physique mortelle. Cette réalisation n'est pas seulement le but de ceux qui pratiquent le Hatha Yoga. C'est le but de toute personne engagée sur la voie spirituelle. Il faut partir d'un point de départ. Et ce point de départ pour l'homme, c'est indéniablement l'identification de sa conscience d'être avec son corps.
Depuis l'enfance, l'habitude invétérée a été prise de se considérer comme le corps. On se reconnaît à la forme de son visage et, quand on reconnaît les autres, c'est d'abord à leur apparence physique. Personne ne niera à quel point ce corps peut-être contraignant. Suivant qu'il fonctionne plus ou moins bien, vous avez l'impression de plus ou moins bien fonctionner. Vous dites "je suis en bonne santé, je suis en mauvaise santé". Quel que soit le Yoga dans lequel on est engagé, le but est la découverte d'une perfection de conscience qui est déjà là, voilée comme parfois, pour nous, le ciel bleu et le soleil sont cachés par les nuages. Swamiji (le guru d'Arnaud Desjardins) avait l'habitude de dire "Ne dites pas que les nuages sont devant le soleil, dites que les nuages sont devant vos yeux".
Le Yoga physique n'échappa pas à cette règle; le travail sur le corps physique va éliminer les obstacles physiques qui paraissent limiter cette conscience. La "libération" est celle de la conscience du Soi par rapport à l'identification à ce corps périssable. L'ego limité, séparé, fini, conditionné, c'est d'abord le corps avec lequel on s'identifie. A l'intérieur de ce corps se trouve le corps subtil qui, lui peut subsister après la mort du corps physique, et qui est, comme le corps physique, soumis à l'attraction et à la répulsion. Et les besoins ou les refus simples du corps physique sont rendus beaucoup plus complexes à travers les désirs et les peurs du corps subtil. Le corps physique a des besoins et des nécessités, le corps subtil a des désirs complexes. Et le travail sur le corps, dans un chemin spirituel, a pour but de permettre d'abord une libération du corps subtil par rapport au corps physique.
Alors, où le corps subtil et le corps physique se trouvent en relation?
Observez et vous pourrez remarquer les points de rencontres entre le corps subtil et le corps physique. Par exemple, lorsque l'on dit : "cette nouvelle m'a porté un coup au cœur" : il y a là une localisation où le corps physique et le corps subtil se rejoignent. Lorsqu' encore, on dit "j'ai la gorge serrée", de nouveau, il y a localisation de ce que l'on appelle un "nœud", c'est à dire une source de blocage de la conscience que vous appelez "le cœur" ou "la gorge". Et ainsi de suite.
Les célèbres chakras, appelés aussi roues ou lotus apparaissent, non pas comme des lieux d'épanouissement ou de rayonnement d'une énergie libre, mais comme des lieux de contraction, de blocage. L'énergie, en nous, qui est à la fois physique, émotionnelle et mentale, ne peut plus circuler et s'exprimer librement. Avec une attention affinée, vous pourrez vous rendre compte si ces centres énergétiques son détendus ou contractés, ouverts ou fermés et s'il fonctionnent bien ou mal. Ce n'est pas une mince affaire de dénouer ces nœuds par lesquels les modifications du corps physique agissent sur le corps subtil dans le sens d'un esclavage en vous imposant des désirs, des peurs, des volitions, des pulsions et vous enlisent toujours un peu plus dans le monde de la limitation, de la séparation et du conflit. Tenter d'éveiller les chakras par les techniques du yoga avant d'avoir effectué cette purification au préalable est toujours vain et peut s'avérer dangereux.
Pour réaliser une conscience libre de cette limitation que représente le corps, il faut accomplir d'abord un travail sur le corps et prendre beaucoup mieux conscience du corps qu'on ne le fait d'habitude. Et quand nous parlons de prendre conscience du corps, cette conscience va au delà de la contraction ou du relâchement d'un muscle.
Le chemin consiste en ceci : prendre conscience du corps, avoir la sensation de son corps et distinguer du point de vue du corps, ce que l'Inde appelle le spectateur et le spectacle. Le corps fait partie du spectacle universel, de la manifestation changeante et multiple, et une conscience complètement neutre et détachée grandit et se développe. Il n'y a pas un conflit et une opposition, mais une distinction du corps et de la conscience du corps. Cette conscience ne juge pas, ne prends pas parti, n'intervient pas.
Si mon mental est là pour constater que mon corps est trop lourd, trop maigre, trop grand ou trop petit, ce n'est pas cela que l'on appelle prendre conscience du corps. Vous avez une relation avec votre corps mais seulement en tant qu'ego, et c'est une relation faite d'attraction et de répulsion. Cette relation dualiste avec son propre corps ne mènera jamais à une libération quelconque et n'a rien à voir avec le yoga. Nous parlons d'une conscience qui ne juge pas, qui est simplement le témoin. Il faut donc que le spectateur se stabilise par rapport au spectacle.
Il y a donc un travail qui commence par une sensation personnelle de son propre corps, en dehors de toute sensation qui s'impose à nous, telle que la douleur, et cette sensation peut grandir dans l'exercice. Elle est toujours liée au relâchement des tensions musculaires. Vous ne pouvez avoir vraiment la sensation d'une partie du corps que par la sensation des masses musculaires de plus en plus profondément relâchées. La première affirmation de l’ego à travers le corps. C'est à travers ce relâchement musculaire que devient possible une sensation concrète de son corps, de sa forme physique : le dos, le ventre, les bras, le front... etc. Très vite, vous sentirez circuler l'énergie dans ce corps. Très vite, vous sentez ce corps vivant.
Ce corps peut prendre une forme ou une autre, une posture ou une autre, et puisqu'il y a un lien entre le corps physique et le corps subtil, il y aura un lien entre les postures physiques et les postures subtiles. Ces centres de relation entre le corps physique et le corps subtil sont dans une certaine position les uns par rapport aux autres. Si les postures prises par le corps physique changent, les relations de ces foyers de dynamisme du corps subtil les uns par rapport aux autres changent aussi. Si vous voulez avoir une souplesse du corps subtil, ayez une souplesse du corps physique.
Le travail sur le corps est une aide. Moins votre corps sera figé, moins vos réactions émotionnelles et mentales seront figées.
Voyez bien qu'une posture ne peut pas être essentiellement physique. Une posture est aussi émotionnelle et mentale. Et si vous voulez être libres et non pas conditionnés, si vous voulez répondre aux circonstances et non pas réagir, il faut intervenir sur tous les fronts. Il faut accomplir un travail physique, mental et émotionnel. Une posture est une totalité et agit sur la totalité de votre être.
Lorsque l'on touche au corps, d'une certaine façon on touche également aux émotions. Puisque vous acceptez la necessité d'un travail sur les émotions, dîtes vous que le travail sur le corps a son importance. Votre pensée changera en même temps que votre corps physique évoluera. Votre répertoire limité de postures physiques va s'agrandir, s'élargir, s'assouplir. Le travail sur votre propre corps va le rendre non seulement plus souple mais plus disponible. Le chemin de liberté par rapport au corps commence là. Vous pouvez demander certaines choses au corps, lequel trouvera en échange son propre bénéfice dans le fait d'être détendu, et, par conséquent relâchera un peu l'emprise qu'il a sur vous. Amenez la vigilance et le retour à soi pendant la pratique (ne serait-ce qu'une heure mais une heure de vigilance, de présence).
Si vous faites une heure de postures, calme, contrôlé, même si le corps est limité, vous aurez néanmoins été en état de présence pendant une heure.
Texte essentiellement basé sur le livre "Le Vedanta et l'inconscient" d'Arnaud Desjardins.
Hari OM
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