...il faut plonger profondément dans l’obscurité de son être, naviguer à travers les courants internes de ses propres énergies. Considérer l’emprise uniquement comme une force extérieure, comme un phénomène distant, c’est se priver de la possibilité de l’approcher véritablement, de la saisir par le ressenti, de l’apprivoiser par l’expérience intérieure. Chaque facette de l'humain, même la plus subtile, résonne en chacun de nous. Ainsi en est-il de l’emprise : elle n’est pas seulement la tyrannie d’un côté ou la souffrance d’un emprisonnement de l’autre. Elle est une danse complexe dans laquelle nous sommes tous impliqués.
L’emprise nous touche parce que beaucoup, consciemment ou inconsciemment, déposent leur valeur dans les mains et le regard d’autrui. Peu savent encore s'estimer à travers leur propre lumière, se suffire pour sentir leur propre valeur, la faire fleurir de l'intérieur. Cette difficulté trouve ses racines dans la formation psychologique de chacun. En chaque enfance, il est rare de sentir un amour immuable, sans condition. Les parents, malgré toutes leurs intentions, ne peuvent toujours offrir cet amour inconditionnel, car eux-mêmes ne l'ont souvent jamais reçu. Et il faut admettre que ce n'est pas une tâche aisée, cette transmission d'amour sans faille. Ainsi, le sentiment de valeur devient conditionnel, ancré dans les réactions et les attentes des autres, dans la capacité à les satisfaire ou non. En grandissant, cette dynamique se transpose naturellement dans le domaine de l’amour, du couple, des liens affectifs.
Quand le regard du partenaire brille d’admiration, il est aisé de se sentir valorisé. Mais quand ce regard change, se voile ou devient critique en réponse à des besoins non comblés ou à des émotions changeantes, la perception de soi peut chanceler. Cette vulnérabilité rend chacun sensible aux jugements et aux attentes de l’autre. De l’autre côté, l’emprise nous concerne aussi à cause de la fragilité narcissique qui est en chacun de nous. Lorsque l’autre ne répond pas à nos attentes, agit différemment de ce que nous désirons, il est facile de tomber dans des comportements de contrôle, de dévalorisation, ou de culpabilisation. C’est une réaction issue de cette brèche commune, cette blessure intérieure partagée par tous. L’emprise naît de ces deux pôles. Les deux positions, celle du bourreau et celle de la victime, ne sont jamais totalement étrangères, même si elles ne plongent pas toujours dans les profondeurs de l'horreur que l'on imagine parfois. Nous portons tous, à tour de rôle, le masque de l’enfant anxieux, sensible au jugement, et celui de l’enfant capricieux, avide d’attention, dont la susceptibilité peut rapidement se muer en agression.
Pour comprendre l’emprise, il faut déchiffrer son mécanisme subtil, sa lente progression, comme on dénoue un fil ténu de la trame de l’existence. L’emprise est un processus. Elle commence par la valeur que l'on se donne. Mettre quelqu’un sous emprise, c’est d’abord capturer cette valeur, la ramener entre les mains de celui qui détient le pouvoir. D'ordinaire, notre valeur repose sur de nombreux piliers : amis, amour, travail, passions, et peut-être même des liens spirituels. Mais sous l’emprise, ces piliers tombent un à un, jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un seul point d’ancrage : l’autre, le maître du jeu. Il devient alors central, unique, indispensable. L’emprise entraîne ensuite une oscillation constante de cette valeur. Les relations sous emprise vont d’une idéalisation sublime à une humiliation profonde. Cette alternance constante épuise la stabilité intérieure, minant petit à petit la confiance en soi.
Mais il y a aussi la question de la sécurité, ce sentiment fragile que tout humain recherche. Celui qui domine sous emprise se montre souvent d'une certitude rassurante. Il semble savoir exactement quoi faire, où aller. Cette assurance peut sembler offrir un refuge. Mais la même certitude devient un poison quand elle se retourne pour affirmer, subtilement ou brutalement, que l'autre ne vaut rien, que tout échec lui revient. La sécurité est mise à l’épreuve par des changements soudains et inattendus d’attitude. Celui qui contrôle peut être doux et prometteur à un instant, puis distant, silencieux, voire menaçant l’instant suivant. Ces oscillations créent un climat d’incertitude et de confusion, érodant peu à peu toute stabilité intérieure, toute confiance en soi. Dans ces mouvements naît l'ambivalence. L'âme sous emprise se balance entre espoir et désespoir, entre colère et culpabilité. Elle a été choisie, aimée, exaltée, et elle espère souvent retourner à cet état de grâce. Elle croit que si elle agit correctement, tout redeviendra comme avant. Mais l’autre sait maintenir cette tension, jouer avec cette ambivalence, ancrer l'autre dans la culpabilité, lui faire croire que tout est de sa faute.
Accompagner quelqu'un sous emprise, c'est reconnaître cette ambivalence, cette dualité intérieure, et accepter toute la complexité de son expérience. Si on se montre trop catégorique, si l’on pousse simplement à fuir, on risque de renforcer la honte et de couper le chemin vers la guérison. Il est essentiel d’accueillir ces mouvements de va-et-vient, d’ouvrir l’espace à la parole, même lorsque la personne retourne vers celui qui la tient captive. Car on ne quitte pas l’emprise par une simple sortie. On s’en évade. Comme pour toute évasion, il faut souvent laisser beaucoup derrière : des possessions, des rêves, et parfois même des parties de soi. Et c’est risqué, car rien n’est plus insupportable pour celui qui contrôle que de perdre son emprise.
Après l’évasion, commence le chemin de la reconstruction. Retrouver la force intérieure, se réapproprier sa valeur, reconstruire patiemment une nouvelle confiance en soi. Dans les profondeurs de l’âme, allumer cette étincelle divine et composer autrement. Com(prendre), se prendre, se pardonner et accepter que nous faisons partie du jeu qui vient d'être joué. Fusionner avec le courant universel, devenir un fleuve qui se jette dans l'océan infini. Aimer, se perdre et se retrouver simultanément.
Et pour ceux qui en ont besoin, rappelons cette vérité essentielle : la foi en quelque chose de plus grand, en un Divin omniprésent, peut être notre ancre dans la tempête. En cultivant notre lien sacré avec le Divin, ne pourrions-nous pas demander protection, et ainsi nous échapper par la porte céleste, vaste et lumineuse?
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